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Lorsqu’on cherche des noms de femmes philosophes dans l’Antiquité, c’est souvent celui d’Hypatie qui vient en premier. Mais, je vais sans doute vous surprendre, il y avait plus de femmes philosophes dans l’Antiquité qu’on ne le dit généralement.

Richard Goulet, dans son Dictionnaire des Philosophes Antiques, distingue plus de cent femmes philosophes, parmi lesquelles vingt-cinq pythagoriciennes, une cyrénaïque, deux cyniques, cinq mégariques, trois platoniciennes, trois néoacadémiciennes, dix néoplatoniciennes, deux aristotéliciennes, deux stoïciennes, seize épicuriennes !

Ces femmes philosophes ont pris une part active à l’existence et à la diffusion de la philosophie, en publiant des textes, en donnant un enseignement régulier, voire en prenant la direction d’une école à la disparition du précédent chef d’école. Elles ont pour nom Théano, la pythagoricienne, Aspasie, compagne de Périclès, Hipparchia, la cynique. Des noms restés peu connus, mais je ne suis pas sûre que leurs homologues masculins de l’époque le soient davantage !

On pourrait mentionner aussi Diotime, ce personnage du Banquet de Platon qui initie Socrate aux mystères de l’Amour véritable. Même s’il ne s’agit pas d’une figure historique ayant réellement existé, il est quand même significatif que Socrate ait été initié aux fondements de la vision spirituelle de Platon par une femme.

Il est possible que l’institution des écoles de philosophie dans l’Antiquité ait favorisé la place des femmes dans la philosophie. En effet, l’école de philosophie antique relève de la vie publique et extérieure, mais elle se construit aussi autour d’une sorte d’économie domestique et quasi familiale. Toutes les écoles de philosophie comprennent une vie quotidienne commune, au minimum des repas communs, et se considèrent comme des associations réunies autour d’un maître par des liens qui ne sont pas seulement doctrinaux, mais aussi amicaux et familiaux. L’intériorité de l’école n’est pas celle de l’espace domestique des femmes, mais elle ne renvoie pas non plus à celle d’une assemblée dans l’espace ouvert et public de la cité.

L’école de philosophie revêt une forme originale, qui la fait partiellement échapper à la grande division des sexes de l’espace social des sociétés antiques. C’est pourquoi de nombreuses femmes philosophes ont pu s’accomplir au sein de ces écoles de philosophie ; on sait qu’elles étaient nombreuses dans l’école d’Épicure ; elles pouvaient y occuper une place équivalente à celle des hommes, et parfois même la première place, alors qu’il leur était plus difficile de s’imposer dans la vie publique.

Ce qu’écrit Platon dans La République nous offre un autre type d’argument en faveur des femmes philosophes. Au livre V, il propose de donner la même éducation aux filles et aux garçons, de libérer les femmes de la classe gouvernante des tâches domestiques et du soin des enfants, à l’égal des hommes de la même classe ; il affirme que les femmes ne diffèrent en rien des hommes, sinon par la grossesse et l’enfantement ; alors qu’en grec ancien le mot « citoyen » (politès) n’a pas de féminin usité, Platon est le seul auteur à employer ce mot au féminin, à parler des citoyens et des citoyennes. Si j’osais, je dirais que Platon est le philosophe le plus féministe de l’Antiquité !

Dans un tout autre contexte, rappelons que les femmes de noble extraction des sociétés européennes ont trouvé une activité littéraire et philosophique de choix dans les salons dont elles ont assuré la renommée à partir de la Renaissance, alors qu’il faudra attendre la seconde moitié du XXe siècle pour que les Universités acceptent des enseignantes en philosophie !